Cheikh Anta Diop (1923 - 1986)
Le Pharaon noir
Cheikh Anta Diop (né le 29 décembre 1923 à Thieytou - mort le 7 février 1986 à Dakar) est un historien, anthropologue et homme politique sénégalais. Il a mis l'accent sur l'apport de l'Afrique et en particulier de l'Afrique noire à la culture et à la civilisation mondiales. Ses thèses restent aujourd'hui contestées, et sont peu reprises dans la communauté scientifique1,2,3. Si une grande partie de ses thèses, en particulier au sujet de l'Égypte antique, sont considérées comme dépourvues de fondements solides, Cheikh Anta Diop a toutefois eu un indéniable rôle de visionnaire en ce qui concerne la place de l'Afrique dans l'histoire. Sa vision peut en effet être interprétée comme une anticipation des découvertes archéologiques majeures des années 2000 sur le continent africain que ce soit Kerma ou, beaucoup plus ancien, Blombos.
L'homme et l'œuvre
Cheikh Anta Diop est né le 29 décembre 1923 à Thieytou, dans le département de Bambey, région de Diourbel (Sénégal). Sa famille est d'origine artistocratique wolof. À l'âge de 23 ans, il part pour Paris afin d'étudier la physique et la chimie mais se tourne aussi vers l'histoire et les sciences sociales. Il suit en particulier les cours de Gaston Bachelard et de Frédéric Joliot-Curie4. Il adopte un point de vue spécifiquement africain face à la vision de certains auteurs de l'époque selon laquelle les Africains sont des peuples sans passé.
En 1951, Diop prépare sous la direction de Marcel Griaule une thèse de doctorat à l'Université de Paris, dans laquelle il affirme que l'Égypte antique était peuplée d'Africains noirs, et que la langue et la culture égyptiennes se sont ensuite diffusées dans l'Afrique de l'Ouest. Il ne parvient pas dans un premier temps à réunir un jury mais, d'après Doué Gnonsoa, sa thèse rencontre un « grand écho » sous la forme d'un livre, Nations nègres et culture, publié en 19546. Il obtiendra finalement son doctorat en 1960. Il poursuit dans le même temps une spécialisation en physique nucléaire au laboratoire de chimie nucléaire du Collège de France. Diop met à profit sa formation pluridisciplinaire pour combiner plusieurs méthodes d'approche.
Il s'appuie sur des citations d'auteurs anciens comme Hérodote et Strabon pour illustrer sa théorie selon laquelle les Égyptiens anciens présentaient les mêmes traits physiques que les Africains noirs d'aujourd'hui (couleur de la peau, aspect des cheveux, du nez et des lèvres). Son interprétation de données d'ordre anthropologique (comme le rôle du matriarcat) et archéologique l'amène à conclure que la culture égyptienne est une culture nègre. Sur le plan linguistique, il considère en particulier que le wolof, parlé aujourd'hui en Afrique occidentale, est phonétiquement apparenté à la langue égyptienne antique.
Lorsqu'il obtient son doctorat en 1960, il revient au Sénégal enseigner comme maître de conférences à l'université de Dakar (depuis rebaptisée université Cheikh-Anta-Diop, UCAD). Il y obtiendra en 1981 le titre de professeur. Mais dès 1966, il crée au sein de cette université de Dakar le premier laboratoire africain de datation des fossiles archéologiques au radiocarbone6, en collaboration avec celui du Commissariat français à l'énergie atomique (CEA) de Gif-sur-Yvette. Il y effectue des tests de mélanine sur des échantillons de peau de momies égyptiennes, dont l'interprétation permettrait, selon Diop, de confirmer les récits des auteurs grecs anciens sur la mélanodermie des anciens Égyptiens.
Dans les années 1970, Diop participe au comité scientifique qui dirige, dans le cadre de l'UNESCO, la rédaction d'une Histoire générale de l'Afrique. Pour la rédaction de cet ouvrage, il participe en 1974 au Colloque international du Caire où il confronte les méthodes et résultats de ses recherches avec ceux des principaux spécialistes mondiaux. À la suite de ce colloque international, Diop rédige un chapitre sur « L'origine des anciens Égyptiens », et G. Mokhtar, professeur à l'université du Caire rédige le chapitre sur « L'Égypte pharaonique ». À la suite du chapitre 1, est publié un compte-rendu des débats lors du colloque qui mentionne l'accord des spécialistes — à l'exception de l'un d'entre eux — sur les éléments apportés par Cheikh Anta Diop et Théophile Obenga au sujet du peuplement de l'Égypte ancienne. Cependant, il est précisé que « de nombreuses objections ont été faites aux propositions du professeur Diop elles révèlent l'étendue d'un désaccord qui est demeuré profond ». Si, pour le professeur Jean Vercoutter, « l'Égypte était africaine dans son écriture, dans sa culture et dans sa manière de penser », la communauté scientifique reste néanmoins partagée sur la nature du peuplement de l'Égypte ancienne.
Par ailleurs, dès 1947, Diop s'est engagé politiquement en faveur de l'indépendance des pays africains et de la constitution d'un État fédéral en Afrique. « Jusqu'en 1960, il lutte pour l'indépendance de l'Afrique et du Sénégal et contribue à la politisation de nombreux intellectuels africains en France. Entre 1950 et 1953, il est secrétaire général des étudiants du Rassemblement démocratique africain (RDA)11 et dénonce très tôt, à travers un article paru dans La Voix de l'Afrique noire, l'Union française, qui, « quel que soit l'angle sous lequel on l'envisage, apparaît comme défavorable aux intérêts des Africains ». Poursuivant la lutte sur un plan plus culturel, il participe aux différents congrès des artistes et écrivains noirs et, en 1960, il publie ce qui va devenir sa plate-forme politique : Les fondements économiques et culturels d'un futur État fédéral en Afrique noire12. »
Selon Doué Gnonsoa, Diop sera l'un des principaux instigateurs de la démocratisation du débat politique au Sénégal, où il animera l'opposition institutionnelle au régime de Léopold Sédar Senghor, à travers la création de partis politiques (le FNS en 1961, le RND en 1976), d'un journal d'opposition (Siggi, renommé par la suite Taxaw) et d'un syndicat de paysans. Sa confrontation, au Sénégal, avec le chantre de la négritude serait l'un des épisodes intellectuels et politiques les plus marquants de l'histoire contemporaine de l'Afrique noire13.
Cheikh Anta Diop meurt dans son sommeil à Dakar, le 7 février 1986. Avec Théophile Obenga et Asante Kete Molefe, il est considéré comme l'un des inspirateurs du courant épistémologique de l'afrocentricité. En 1966, lors du premier Festival mondial des Arts nègres de Dakar, Diop a été distingué comme « l'auteur africain qui a exercé le plus d'influence sur le xxe siècle14 ».
Le 8 février 2008, le ministre de la Culture du Sénégal Mame Biram Diouf inaugure un mausolée perpétuant la mémoire du chercheur à Thieytou, son village natal où il repose15. Ce mausolée figure sur la liste des sites et monuments classés du Sénégal16.
L'université de Dakar porte le nom d'université Cheikh-Anta-Diop (UCAD) depuis mars 1987.
La théorie historiographique de Cheikh Anta Diop
Cheikh Anta Diop a rassemblé les résultats de ses travaux dans le dernier ouvrage qu'il ait publié avant son décès, intitulé Civilisation ou barbarie, anthropologie sans complaisance17, où il expose sa théorie historiographique, tout en tentant de répondre aux principales critiques que son œuvre a suscitées chez les historiens et « égyptologues de mauvaise foi »18.
Antériorité des civilisations nègres
Selon Diop, l'Homme (Homo sapiens) est apparu sous les latitudes tropicales de l'Afrique, dans la région des Grands Lacs. La chaîne d'hominisation africaine est la seule qui soit complète, la plus ancienne et la plus prolifique. Ailleurs on trouve actuellement encore des fossiles humains représentant des maillons épars d'une séquence d'hominisation incertaine.
Diop pose que les premiers Homo sapiens devaient être probablement de phénotype noir, parce que, selon la règle de Gloger, les êtres vivants originaires des latitudes tropicales sécrètent plus de mélanine dans leur épiderme, afin de se protéger des rayonnements solaires. Ce qui leur confère une carnation aux nuances les plus sombres (ou les moins claires). Pour lui, pendant des millénaires, il n’y a eu d'hommes sur terre que des « Nègres19 », nulle part ailleurs dans le monde qu'en Afrique, où les plus anciens ossements d'hommes « modernes » découverts ont plus de 150 000 ans20 tandis qu'ailleurs les plus vieux fossiles humains (ex. Proche-Orient) ont environ 100 000 ans.
Selon Günter Bräuer, les fossiles humains sont d'autant plus anciens qu'ils se trouvent en Afrique, au cœur de l'Afrique. Tandis qu'ils sont d'autant plus récents qu'ils se trouvent hors et loin de l'Afrique21. D'après Yves Coppens, aucune exception n'a encore été apportée à cette règle de cohérence de la théorie « Out of Africa », qui reste la seule à présenter un si haut degré de stabilité22.
Si l'Afrique est le « berceau de l'humanité », alors, selon Diop, les plus anciens phénomènes civilisationnels ont dû nécessairement avoir eu lieu sur ce continent23. Selon Nathalie Michalon, né en Afrique24, l'homme y expérimente les plus anciennes techniques culturelles avant d'aller conquérir la planète, précisément grâce à elles. C'est ainsi que l'Afrique est l'un des endroits au monde (avec la Mésopotamie et la Chine) où la fabrication d'outils (lithiques), la poterie, la sédentarisation, la domestication, l'agriculture, la cuisson, etc. sont attestées et notamment dans le site de Nabta Playa25.
Selon Diop, comme l'Afrique a une superficie approximative de trente millions de kilomètres carrés, on imagine que la seule hominisation de tout cet espace a dû prendre plusieurs millénaires. En sorte que les fossiles/phénomènes humains de la moitié sud de l'Afrique sont généralement plus anciens que ceux de sa moitié nord. Selon un Bulletin de l'IFAN, cette immensité géographique du premier environnement d'Homo sapiens, compte tenu de sa grande diversité climatique, a eu pour autre conséquence de différencier très tôt l'humanité africaine, des points de vue phénotypique et morphologique26.
Au bout de plusieurs autres millénaires, des colonies humaines auraient émigré dans les régions limitrophes de l'Afrique, là où sont attestés les plus anciens fossiles humains après ceux de l'Afrique, c'est-à-dire en Asie méridionale et en Europe méridionale. La principale cause naturelle des premières migrations humaines résiderait dans les évolutions climatiques : en la succession de périodes pluvieuses et de sécheresses en Afrique, correspondant respectivement à des périodes de glaciation et/ou de précipitations dans ses contrées limitrophes, en Europe méridionale et au Proche-Orient. Selon Diop, Homo sapiens aurait suivi, dans les premiers temps, la disponibilité naturelle des ressources alimentaires (animales et végétales) au gré des conjonctures climatiques en empruntant toujours les voies naturelles de sortie de l'Afrique (Sicile, Italie du Sud, isthme de Suez, détroit de Gibraltar)27. Selon le site internet Hominides.com, les catalyseurs culturels de cette migration consisteraient dans la maîtrise du feu, permettant de vivre dans des contrées tempérées, et, selon Diop, l'invention de la navigation, permettant de traverser de vastes étendues aquatiques.
Selon Théophile Obenga, jusqu'à la première moitié du xxe siècle, cette perspective historiographique de Diop est aux antipodes de ce qui est communément diffusé30 depuis Hegel, Hume, Kant, Rousseau, Hobbes, Marx, Weber, Renan, etc., en sorte que son Nations nègres et culture serait le premier ouvrage de cette envergure à étudier l'histoire de l'Afrique antérieure aux traites négrières arabe et européenne, dans les temps les plus anciens. Toujours selon Obenga, Diop introduit une profondeur diachronique qu'il n'y avait pas à la différence radicale des travaux ethnologiques ou anthropologiques généralement anhistoriques30. « Le livre le plus audacieux qu'un nègre ait jamais écrit », en dira Aimé Césaire dans son Discours sur le colonialisme.
L'Égypte comme une civilisation négro-africaine
L'égyptologie « afrocentrée » est un domaine de recherche initié par Cheikh Anta Diop, où l'on étudie la civilisation de l'Égypte ancienne en partant du postulat qu'elle est une civilisation négro-africaine. En effet, selon Diop, la civilisation égyptienne serait une civilisation « nègre ».
Par ses habitants
Auteurs anciens
Diop rapporte que selon Hérodote, Aristote, Strabon et Diodore de Sicile - qui furent tous des témoins oculaires des Égyptiens anciens à l'époque où ceux-ci vivaient encore, contrairement aux égyptologues depuis Champollion jusqu'à nos jours qui n'ont pu, tout au plus, qu'étudier des momies égyptiennes - les Égyptiens avaient la peau « noire et les cheveux crépus »31. Il signale également l'opinion du comte de Volney32, pour qui les Coptes « ont le visage bouffi, l'œil gonflé, le nez écrasé, la lèvre grosse en un mot, un vrai visage de Mulâtre. J'étais [c'est évidemment Volney qui parle à la 1re personne] tenté de l'attribuer au climat, lorsque ayant été visiter le Sphinx, son aspect me donna le mot de l'énigme. En voyant cette tête caractérisée Nègre dans tous ses traits [il s'agit bien sûr de la tête du Sphinx, tête qui est à l'effigie d'un pharaon de l'Ancien Empire], je me rappelai ce passage remarquable d'Hérodote, où il dit : Pour moi, j'estime que les Colches sont une colonie des Égyptiens, parce que, comme eux, ils ont la peau noire et les cheveux crépus : c'est-à-dire que les anciens Égyptiens étaient de vrais Nègres de l'espèce de tous les naturels d'Afrique et dès lors, on explique comment leur sang, allié depuis plusieurs siècles à celui des Romains et des Grecs, a dû perdre l'intensité de sa première couleur, en conservant cependant l'empreinte de son moule originel. ». D'autres auteurs, comme Mubabinge Bilolo, reprendront et développeront cet argument.
La plupart des égyptologues occidentaux[Lesquels ?] contestent cette thèse en se basant sur les milliers de représentations humaines figurant dans les tombes ou les temples d'époque pharaonique : lorsque les Égyptiens y font figurer d'autres peuples, comme les Syriens, les Libyens, ils leur donnent d'autres traits et d'autres vêtements (les Syriens portent la barbe et une robe, par exemple). Or ils ont maintes fois représenté les Noirs du Soudan, le pays de Kouch, avec des traits africains et une peau noire, alors qu'ils se représentaient eux-mêmes avec une peau claire et des traits proches de ceux des Égyptiens modernes.
Kemet
Article détaillé : Kemet.
Selon Cheikh Anta Diop, par l'expression Kemet, les Égyptiens se seraient désignés dans leur propre langue comme un peuple de « Nègres »33.
À l'appui de sa thèse, il invoque une graphie « insolite » de km.t montrant un homme et une femme assis, graphie traduite par « les Égyptiens », mais que l'égyptologue afrocentrique Alain Anselin traduit comme « une collectivité d'hommes et de femmes noirs ». On n'en connaît qu'une seule occurrence, dans un texte littéraire du Moyen Empire.
En égyptien ancien, Kemet s'écrit avec comme racine le mot km, « noir », dont Diop pense qu'il est à l'origine étymologique de « la racine biblique kam ». Pour lui, les traditions juive et arabe classent généralement l'Égypte comme un des pays de Noirs37. En outre, selon Diop, le morphème km a proliféré dans de nombreuses langues négro-africaines où il a conservé le même sens de « noir, être noir » notamment dans sa langue maternelle, le wolof, où khem signifie « noir, charbonner par excès de cuisson », ou en pulaar, où kembu signifie « charbon ».
Selon la plupart des égyptologues occidentaux, si l'Égypte était appelée le « pays noir » à l'époque pharaonique, c'était par référence à la couleur de la terre[réf. nécessaire], fertile car irriguée par le Nil, qui se différenciait du désert environnant, de couleur sable ou jaune.
Tests de mélanine
Selon Cheikh Anta Diop, les procédés égyptiens de momification ne détruisent pas l'épiderme au point de rendre impraticables les différents tests de la mélanine permettant de connaître leur pigmentation. Au contraire, eu égard à la fiabilité de tels tests, il s'étonne qu'ils n'aient pas été généralisés sur les momies disponibles. Sur des échantillons de peau de momie égyptienne « prélevés au laboratoire d'anthropologie physique du musée de l'Homme à Paris », Cheikh Anta Diop a réalisé des coupes minces, dont l'observation microscopique à la lumière ultraviolette lui fait « classer indubitablement les anciens Égyptiens parmi les Noirs »38.
Par sa langue
L'argument linguistique de Diop comporte deux volets. D'une part, il essaie de prouver que l'égyptien ancien n'appartient pas à la famille afroasiatique40. D'autre part, il tente d'établir positivement la parenté génétique de l'égyptien ancien avec les langues négro-africaines contemporaines41.
Ainsi, d'après Diop et Obenga, les langues négro-africaines contemporaines et l'égyptien ancien ont un ancêtre linguistique commun, dont la matrice théorique (ou « ancêtre commun prédialectal ») aurait été reconstituée par Obenga, qui l'a baptisée « négro-égyptien ».
La langue maternelle de Cheikh Anta Diop est le wolof, et il apprend l'égyptien ancien lors de ses études d'égyptologie, ce qui, selon Diop, lui aurait permis de voir concrètement qu'il y avait des similitudes entre les deux langues42. Il a donc tenté de vérifier si ces similitudes étaient fortuites, empruntées ou filiales.
Diop observe une « loi de correspondance » entre n en égyptien et l en wolof. Il observe également que, en présence d'un morphème ayant une structure nd en égyptien, on rencontre généralement un morphème équivalent en wolof de structure ld. Le spécialiste de la linguistique historique Ferdinand de Saussure a établi que ce type de correspondances régulières n'est presque jamais fortuit en linguistique, et que cela a force de « loi » phonologique, dite sound law43.
Pour Diop, la structure consonantique du mot égyptien (nd) est la même que celle du mot wolof (ld), sachant que souvent les voyelles ne sont pas graphiées en égyptien, même si elles sont prononcées. Cela veut dire, selon lui, que, là où l'on note a pour l'égyptien, il est possible de rencontrer une toute autre voyelle dans le morphème wolof équivalent. Dans ce cas la correspondance ne serait approximative qu'en apparence, car c'est la phonétisation (la prononciation) de l'égyptien selon les règles de prononciation sémitiques qui serait erronée. Bien entendu, une telle loi ne se déduit pas de deux ou trois exemples, elle suppose l'établissement de séries lexicales exhaustives, comme on en trouve dans les ouvrages dédiés de Diop44. La méthodologie de comparaison de Diop est rejetée par des linguistes modernes, comme Russell Schuh45.
Par la culture spirituelle
Cosmogonie
Selon Cheikh Anta Diop, la comparaison des cosmogonies égyptiennes avec les cosmogonies africaines contemporaines (Dogon, Ashanti, Agni, Yoruba47, etc.) montre une similitude radicale qui témoigne selon lui d'une commune parenté culturelle. Il avance une similitude du Dieu-Serpent dogon et du Dieu-Serpent égyptien, ou encore celle du Dieu-Chacal dogon incestueux et du Dieu-Chacal égyptien incestueux. L'auteur invoque également les isomorphies Noun/Nommo, Amon/Ama de même que la similitude des fêtes des semailles et autres pratiques cultuelles agraire ou cycliques.
Totémisme
Le totem est généralement un animal considéré comme une incarnation de l'ancêtre primordial d'un clan. À ce titre, ledit animal (ou parfois un végétal) fait l'objet de tabous qui déterminent des attitudes cultuelles spécifiques au clan, qu'on désigne par le terme de totémisme. Selon Diop, cette institution et les pratiques cultuelles afférentes sont attestées en Égypte tout comme dans les autres cultures « négro-africaines ».
Circoncision et excision
Selon Diop, les Égyptiens pratiquaient la circoncision dès la période prédynastique. Se fondant sur un témoignage d'Hérodote dans Euterpe, il pense que cette institution se serait diffusée aux populations sémitiques depuis l'Égypte. Elle est attestée dans d'autres cultures « négro-africaines », notamment chez les Dogons où elle est le pendant de l'excision. Ainsi, pour Diop, circoncision et excision sont des institutions duelles de sexuation sociale celles-ci résulteraient des mythes cosmogoniques de l'androgynie originelle de la vie, en particulier de l'humanité (il cite l'exemple de l'androgynie d'Amon-Râ). L'excision demeure pratiquée en Égypte moderne (elle fut même combattue récemment par Suzanne Moubarak)
Par sa sociologie
Royauté sacrée
Selon Josep Cervello Autuori, la royauté égyptienne emporte une dimension sacerdotale comme ailleurs en Afrique noire. Mais, selon Diop51, un trait encore plus singulier commun aux souverains traditionnels africains consiste en « la mise à mort rituelle du roi »52. Cette pratique serait attestée, notamment chez les Yorouba, Haoussa, Dagomba, Tchambas, Djoukons, Igara, Songhoy, Shillouks. Selon Diop, les Égyptiens auraient également pratiqué le régicide rituel, qui serait devenu progressivement symbolique, à travers la fête-Sed, un rite de revitalisation de la royauté53.
Matriarcat
Pour Diop, le matriarcat est au fondement de l'organisation sociale « négro-africaine ». Aussi serait-il attesté comme tel en Égypte ancienne : aussi bien à travers le matronymat que par la distribution matrilinéaire des pouvoirs publics.
Stratification sociale
Selon Diop, la société égyptienne ancienne était structurée hiérarchiquement de la même façon que les autres sociétés « négro-africaines » anciennes. Du bas de l'échelle socioprofessionnelle en montant, la stratification sociale se composerait de :
paysans,
ouvriers spécialisés, appelés « castes » ailleurs en Afrique noire,
guerriers, prêtres, fonctionnaires,
Roi sacré, appelé « Pharaon » en égyptologie.
Par sa culture matérielle
Les plus vieux ustensiles et techniques de chasse, pêche, agriculture attestés en Égypte sont similaires à ceux connus dans les autres régions de l'Afrique. De même que les différentes coiffures et leurs significations, les cannes et sceptres royaux[réf. nécessaire]. Les travaux d'Aboubacry Moussa Lam sont particulièrement décisifs pour ce champ de la recherche ouvert par Diop.
L'ensemble des différents types d'arguments que les afrocentristes invoquent mobilise diverses disciplines scientifiques, et constitue d'après eux un « faisceau de preuves », c'est-à-dire un système argumentaire global, ayant sa propre cohérence interne qui l'établit comme un paradigme épistémologique autonome.
Toutefois, la préoccupation de Diop consiste moins à innover en matière d'historiographie de l'Afrique, qu'à connaître profondément l'histoire de l'Afrique en vue d'en tirer les enseignements utiles pour agir efficacement sur son avenir. Il ne s'agit pas davantage de s'enorgueillir puérilement de quelque passé glorieux, mais de bien connaître d'où l'on vient pour mieux comprendre où l'on va. D'où sa remarquable prospective politique dans Les fondements culturels, techniques et industriels d'un futur État fédéral d'Afrique noire (Présence africaine, 1960) et son implication concrète dans la compétition politique au Sénégal, son pays natal.
Postérité de ses travaux
Nombre d'auteurs, tout en reconnaissant que Diop a eu le mérite de libérer la vision de l'Égypte ancienne de son biais européocentriste, restent partagés sur certaines de ses conclusions. Certains chercheurs africanistes contestent l'insistance de Diop sur l'unité culturelle de l'Afrique noire. D'autres estiment que son approche pluridisciplinaire l'amène à des rapprochements sommaires dans certains domaines comme la linguistique, ou que ses thèses entrent en contradiction avec les enseignements académiques de l'archéologie et de l'histoire de l'Afrique et en particulier de l'Égypte. Ses travaux ne sont pas considérés comme une source fiable par une partie des historiens actuels qui affirment qu'ils ne suscitent l'intérêt que sur le plan de l'historiographie de l'Afrique et non sur celui de la connaissance de son passé.
Diop lui-même, dans l'avant-propos de Nations nègres et culture, ne faisait pas mystère de la difficulté qu'il avait rencontrée pour faire preuve de rigueur face à l'immensité de la tâche à laquelle il s'était attelé. La remise en contexte de son œuvre incite à rappeler l'isolement de ce chercheur qui remet en cause, avec très peu d'aide extérieure, plusieurs siècles d'études égyptologiques, menées par des égyptologues de renom (Jacques-Joseph Champollion et son frère, ou encore Gaston Maspero) :
« L'ensemble du travail [sa thèse et le livre qui en découle] n'est qu'une esquisse ou manquent toutes les perfections de détail. Il était humainement impossible à un seul individu de les y apporter : ce ne pourra être que le travail de plusieurs générations africaines. Nous en sommes conscients et notre besoin de rigueur en souffre [...]56. »
Pour Mubabinge Bilolo, les rapprochements sommaires ne constituent pas un point négatif, car pour lui Diop est un pionnier qui a ouvert des perspectives, tracé des pistes de recherche et laissé une série de tâches pour les futures générations.
L'Égypte, une Éthiopie
L'idée d'une Égypte ancienne noire avait déjà été avancée par d'autres auteurs anterieurement, mais l'œuvre de Cheikh Anta Diop est fondatrice dans la mesure où elle a considérablement approfondi l'étude du rôle de l'Afrique noire dans les origines de la civilisation. Elle a donné naissance à une école d'égyptologie africaine en inspirant par exemple Théophile Obenga, Mubabinge Bilolo et Molefi Kete Asante. Diop a participé à l'élaboration d'une conscience africaine libérée de tout complexe face à la vision européenne du monde. Les travaux de Cheikh Anta Diop, entre autres, ont donné naissance à un courant historiographique dit afrocentriste. Sur le plan linguistique, il a initié l'étude diachronique des langues africaines et a défriché l'histoire africaine précoloniale (hors période pré-égyptienne largement commentée). Désormais, le fait que l'Égypte soit une civilisation africaine n'est pas remis en cause par les égyptologues et les preuves archéologiques s'accumulent même depuis quelques années
Linguistique historique africaine
Selon Cheikh Anta Diop, il existe des correspondances syntaxiques, morphologiques, phonologiques et grammaticales régulières entre les langues négro-africaines, notamment le wolof, et l'égyptien ancien60. Il considère que les lois de correspondances observées entre égyptien ancien et wolof n'existent pas entre égyptien ancien et hébreu, arabe, ou berbère.
Sa démarche dite de « linguistique historique africaine » sera généralisée par Théophile Obenga à de nombreuses autres langues négro-africaines, notamment le mbochi, sa langue maternelle. Oum Ndigi61 a réalisé des études similaires sur le basa62. Aboubacry Moussa Lam a travaillé dans ce sens pour le peul. Alain Anselin a relevé de nombreuses similitudes régulières en ce qui concerne la « grammaire du verbe, du geste et du corps en égyptien ancien et dans les langues négro-africaines modernes ». Ainsi, toute une école de linguistique historique africaine est née de ces recherches, dont les auteurs et la publication sont désormais conséquents65. Obenga a renommé « négro-égyptien » la théorie générale de cette linguistique historique africaine66.
Archéologie
Sur le site de Blombos ont été exhumées les plus anciennes œuvres d'art jamais trouvées. Elles datent de plus de 70 000 ans. Sur le site de Kerma, les travaux du Suisse Charles Bonnet ont prouvé l'originalité et la richesse de la civilisation de Kerma (–3000/–1500)68 par rapport à l'Égypte pharaonique.
Épigraphie
L'égyptologue Alain Anselin a cherché à démontrer l'africanité de l'écriture hiéroglyphique. Pour lui, « si l'absence répétée des paires d'homophones nécessaires à l'établissement du code hiéroglyphique dans une famille de langues donnée rend difficile d'affirmer que cet univers linguistique puisse rendre compte de l'élaboration de l'écriture hiéroglyphique », il considère que le « paradigme africain » serait doté d'un « pouvoir explicatif » plus grand, que le « paradigme sémitique » qu'il considère comme biaisé. Anselin estime également que les hiéroglyphes photographient les milieux écologique et sociétal qui les ont vu naître. Or, la faune et la flore des signes scripturaux égyptiens sont, selon lui, africaines, notamment de la région des Grands Lacs, au cœur de l'Afrique et l'ichthyonomie égyptienne présenterait des similitudes avec les noms de poissons dans diverses langues négro-africaines contemporaines[réf. nécessaire].
Babacar Sall relève que dans la sign list de la grammaire égyptienne d'Alan H. Gardiner les symboles relatifs aux instruments de la pêche et de la chasse sont particulièrement nombreux, et estime qu'ils correspondent à des pratiques et techniques attestées dans toute l'Afrique noire, encore de nos jours.
Anthropologie politique[modifier | modifier le code]
Les comparaisons de Diop entre l'institution de Pharaon et, entre autres, celle du Damel de Cayor ou du Mogho Naba du Mossi ont suscité d'autres recherches, notamment par Alain Anselin, mais également Cervello Autuori. Selon ce dernier auteur, l'institution politique dite de « la royauté sacrée » (E. E. Evans-Pritchard, Luc de Heusch, Michel Izard) serait attestée en Égypte comme ailleurs en Afrique de même que la pratique ancestrale du régicide rituel. Le Pharaon, le Mansah, le Mwene ou le Mogho Naba sont des institutions structuralement analogues : sacerdotales et en même temps politiques. Elles se distinguent radicalement du « Roi » :
« La monarchie pharaonique fut-elle une royauté divine africaine ? Tout d'abord, il convient de remarquer qu'en Égypte le dieu-qui-meurt est Osiris et que, comme dans le cas des rois divins africains mais à la différence des autres dieux-qui-meurent d'Europe et du Proche-Orient anciens, Osiris est aussi roi (...). Comme les rois africains, Osiris est la personnification du principal aliment de la communauté, la céréale, l'orge (cf., par ex., Mystère de la succession, scène 9, 29-32 Textes des sarcophages, 269, 330 Luttes d'Horus et Seth, 14, 10 Textes du sarcophage d'Ânkhnesnéferibré, 256-302 Plutarque, Isis et Osiris, 36, 41, 65, 70 cf. aussi les « Osiris végétants », représentations du dieu en argile dans lesquelles sont enfoncées des graines de céréale qui finissent par germer), et lui-même ou bien les humeurs qui émanent de son cadavre s'identifient avec le Nil ou avec les eaux fécondantes de la crue (cf. Textes des Pyramides, 39, 117, 788, 848, 1360 Hymne de Ramsès IV à Osiris). La capitale de l'Égypte, Memphis, est un centre qui diffuse l'abondance parce que le cadavre d'Osiris flotta dans les eaux du Nil à sa hauteur et qu'il y fut enterré (Théologie memphite, 61-62, 64). C'est qu'Osiris, roi-dieu mort, dispense l'abondance précisément dans sa condition de mort, d'être sacrifié (Frankfort, 1948, chap. 2). En plus d'être le dieu-qui-meurt, Osiris est aussi le premier ancêtre de la royauté (être individuel) et, en tant que roi mort, celui auquel s'identifient tous les rois en mourant (être collectif). Osiris se ressemble donc en tous aspects au roi-dieu africain. (...) Pour conclure, nous pourrions nous demander comment s'explique cette parenté et, en général, comment s'expliquent les nombreux parallélismes qui existent entre l'Égypte et l'Afrique. Certains auteurs ont parlé de diffusion, d'autres de convergence. Nous préférons, quant à nous, la notion de « substrat culturel pan-africain », compris comme un patrimoine culturel commun qui aurait eu son origine à l'époque néolithique et dont auraient émergé, ici et là dans l'espace et dans le temps, les diverses civilisations africaines historiques et actuelles. »
Les travaux de Diop dans ce domaine ont notamment inspiré l'ouvrage intitulé Conception bantu de l'autorité, suivie de Baluba : Bumfumu ne BuLongolodi (Publications universitaires africaines, Munich/Kinshasa, 1994) des auteurs Kabongu Kanundowi et Bilolo Mubabinge.
Critique de ses travaux
Bien que démonstration ait été faite avant les travaux de Diop que l'égyptien n'appartient pas au groupe sémitique des langues afroasiatiques, il n'en résulte pas nécessairement qu'elle n'appartient pas au phylum afroasiatique73. Ainsi, le linguiste comparatiste A. Loprieno74 notamment75 relève les caractéristiques communes à l'égyptien et aux autres langues afroasiatiques : entre autres la présence de racines bi- et trilitères, constantes dans les thèmes verbaux et nominaux qui en dérivent la fréquence de consonnes glottales et laryngales, la plus caractéristique étant l'occlusive laryngale ˁayn le suffixe féminin * -at le préfixe nominal m- le suffixe adjectival –i (le nisba arabe). À la Conférence internationale de Toulouse (septembre 2005), Alain Anselin, quant à lui, « a délivré une communication portant sur les noms de nombres en égyptien ancien où il considère deux courants d'influence, l'un tchado-égyptien, l'autre égypto-sémitique ». La parenté génétique de l'égyptien ancien avec les langues négro-africaines contemporaines est pareillement contestée par certains philologues et lexicologues. Ainsi, Henry Tourneux, spécialiste des langues africaines (mbara, fulfulde, munjuk, kotoko…) et membre de l'unité mixte de recherche Langage, Langues et Cultures d'Afrique noire (CNRS)77, observe que « la coïncidence de trois langues non contiguës » ne garantit pas « le caractère commun, « négro-égyptien », d'un mot » : en effet, il ne suffit pas qu'un fait linguistique soit attesté dans deux langues non contiguës du « négro-africain » contemporain (la troisième langue étant l'égyptien ancien ou le copte) ni que les champs sémantiques soient identiques pour que l'on ait la preuve que le fait linguistique en question relève d'une hypothétique matrice « négro-égyptienne ».
Les critiques d'Henry Tourneux ont fait l'objet d'une réponse circonstanciée de Théophile Obenga dans Le sens de la lutte contre l'africanisme eurocentriste79, où il estime que son contradicteur n'est pas compétent en matière de linguistique historique comparative, ni même spécialiste de la langue égyptienne. En effet, Henry Tourneux est « spécialiste des langues tchadiques et de la lexicographie peule80 ». Par ailleurs, d'après Obenga, aucun linguiste spécialiste de linguistique historique n'a encore contesté ses travaux ni ceux de Diop, particulièrement en ce qui concerne la régularité des propriétés communes aux langues négro-africaines, au copte et à l'égyptien ancien. Or, toujours selon Théophile Obenga, c'est très précisément cette régularité, faisant force de loi linguistique, qui fonde sa théorie générale du « négro-égyptien » : des similitudes éparses, irrégulières entre les langues ou groupes de langues comparées pouvant relever ou bien de coïncidences ou — plus sûrement en l'espèce du paradigme afroasiatique — d'emprunts réciproques de langues dont les locuteurs sont géographiquement mitoyens depuis des millénaires. Pour Obenga, le fait même que les langues africaines modernes ne soient pas contemporaines de l'égyptien ancien, et que beaucoup de ces langues soient attestées à des milliers de kilomètres de l'Égypte, serait un argument favorable à sa théorie linguistique du « négro-égyptien »81. Toutefois les théories linguistiques d’Obenga ne sont pas reconnues par les enquêtes linguistiques actuellement en cours, on leur a reproché leur manque de sérieux, et leur instrumentalisation politique.
Sont également critiqués les tests menés par Cheik Anta Diop relatifs à la pigmentation de l'épiderme des pharaons, qui selon lui prouverait qu'ils étaient « Noirs ». En effet, une étude menée sur la momie de Ramsès II, par le musée de l'Homme à Paris en 1976, a conclu que le pharaon était un « leucoderme, de type méditerranéen proche de celui des Amazighes africains85 ».
Lors d'un colloque international organisé à Dakar du 26 février au 2 mars 1996 à l'occasion du dixième anniversaire de la mort de Cheikh Anta Diop86, l'anthropologue Alain Froment fit une communication ouvertement critique dans la continuité de ses précédents travaux87. En 1996 toujours, Xavier Fauvelle a publié un livre sur Cheikh Anta Diop conçu comme un bilan critique88. Pour l'égyptologue Jean Yoyotte, « Cheik Anta Diop était un imposteur. Un égyptologue incapable de lire le moindre hiéroglyphe ».
source:Wikipedia
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